Le principe d'égalité entre les travailleurs suppose qu'un salarié, placé dans une situation donnée, soit traité de la même façon que tout autre salarié placé dans la même situation.
L'octroi des tickets-restaurants, selon que les salariés travaillent en présentiel ou en télétravail, a été une nouvelle occasion pour les juridictions de s'interroger sur les applications de ce principe dans le contexte d'expansion du phénomène du télétravail dans le contexte de crise sanitaire.
Rappelons quelques principes encadrant la délivrance de tickets restaurants:
- L'employeur n'a aucune obligation d'offrir des tickets restaurants aux salariés.
- Mais eu égard au principe d'égalité, s'il décide de le faire pour certains il doit le faire pour tous.
- À moins qu'il n'établisse que les salariés auxquels il refuse l'octroi de l'avantage sont placés dans une situation différente de ceux qui en bénéficient.
Le critère de la distance domicile-travail est classiquement admis ; il a ainsi été jugé qu'un employeur pouvait refuser d'octroyer l'avantage aux salariés habitant à moins de 10 minutes à pied de l'entreprise (Cour d'appel de Nîmes 27 mars 2012) ou le réserver aux salariés domiciliés hors de la commune où il est établi (Cour d'appel de Montpellier 22 octobre 1992).
À distance ou sur site, même combat ?
Avec le développement du télétravail, un débat intéressant émerge sur la différence de situation entre les télétravailleurs et les salariés travaillant sur site pour ce qui est de l'octroi de titres-restaurants.
Pour le ministère du Travail, de même que pour l'URSSAF, les travailleurs à distance sont dans la même situation que les salariés sur site dès lors que tous doivent bien déjeuner à un moment ou un autre durant leur horaires de travail.
Dans un jugement du 10 mars 2021, le Tribunal Judiciaire de Nanterre a cependant jugé le contraire en estimant que la différence dans la situation des télétravailleurs pouvait justifier qu'on leur refuse le bénéfice de tickets-restaurants.
Dans cette affaire, alors que l'employeur attribuait des titres-restaurants aux salariés pour compenser l'absence de restaurant d'entreprise sur le site, il a dû, suite au confinement de 2020, mettre la plupart de son effectif en télétravail. Il a alors valablement refusé à ces salariés le bénéfice de l'avantage dont ils bénéficiaient jusqu'alors en considérant qu'ils pouvaient désormais manger à leur domicile.
Saisi de la même question, le Tribunal Judiciaire de Paris a pourtant rendu le 30 mars 2021 un jugement en sens inverse qui, quant à lui, a réaffirmé l'identité de situation entre travailleurs sur site et télétravailleurs.
Le Tribunal a expliqué que le télétravail est le travail exécuté hors des locaux de l'employeur, mais pas nécessairement au domicile du salarié.
Dans la mesure où rien n'oblige un salarié à télé-travailler depuis son domicile, les juges de Paris ont estimé que la possibilité de manger chez soi ne constituait pas un critère de nature à établir une distinction entre les situations de chacun.
Au-delà de la règle, les cas particuliers
En définitive, ces deux jugements ne sont que des illustrations du principe selon lequel il appartient au juge d'apprécier souverainement la valeur probante des éléments qui lui sont présentés.
Dans le dossier de Nanterre, c'est parce que le salarié sur site subissait un surcoût lié à la restauration hors du domicile qu'il a été admis que l'employeur puisse lui réserver les titres-restaurants.
Cet argument a su persuader les juges alors que, à prendre les choses par cet aspect-là, manger chez soi a également un coût que le salarié subirait moins intensément s'il bénéficiait de titres-restaurants.
En revanche, devant les juges de Paris, les explications de l'employeur n'ont tout simplement pas convaincu le Tribunal.
Ces décisions seront peut-être l'occasion pour la Cour de cassation de fixer un critère définitif.
Vu l'essor actuel du télétravail, il serait certainement heureux d'en sécuriser le cadre juridique.