Tout employeur avisé sait que dès qu'un salarié prononce le terme de « harcèlement » ou se plaint de situations susceptibles d'y ressembler, il lui appartient de diligenter une enquête ayant pour but de faire la lumière sur les faits dénoncés.
Une enquête exhaustive et impartiale
On parle généralement de réaliser une « enquête interne », au terme de laquelle l'employeur, après avoir entendu toute personne liée aux faits dénoncés, achève la rédaction d'un rapport qui, en cas de contentieux, lui permettra de démontrer qu'il a respecté son obligation de sécurité envers ses salariés.
Rappelons que depuis l'ANI du 26 mars 2010 sur le harcèlement au travail, il est préconisé, en pareil cas, de faire bénéficier de façon contradictoire toutes les parties impliquées d'une écoute impartiale et d'un traitement équitable.
Il est donc d'usage de recommander aux employeurs d'entendre de façon exhaustive l'intégralité des individus concernés par les faits de harcèlement dénoncés et surtout, d'interroger en fin d'enquête le/la mis.e en cause pour recueillir ses observations.
Dans un arrêt du 17 mars 2021 (Cass.Soc. n°18-25.597), la Cour de cassation est venue apporter sur cette thématique un éclairage inattendu.
Une enquête loyale
Le droit processuel obéit à un principe de loyauté de la preuve.
Le débat judiciaire devant être contradictoire, chacun doit être mis en mesure de prendre connaissance des éléments retenus contre lui pour pouvoir y apporter la contradiction en ayant pris le temps de l'étude ou pris le temps de se faire conseiller.
Ainsi, l'article L. 1222-4 du code du travail prévoit qu'aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance.
Sur la base de cet article, concernant un compte-rendu d'enquête réalisé à l'insu de la salariée concernée, la Cour d'appel de Paris a estimé que faute d'avoir auditionné la mise en cause, ce compte rendu constituait un mode de preuve déloyal et donc illicite.
La solution n'était pas inhabituelle, la Cour de cassation ayant déjà par le passé sanctionné les décisions prises par les employeurs sur la base de preuves recueillies de manière déloyale, c'est à dire secrète ou cachée.
Et pourtant, après un pourvoi de l'employeur, la Cour de cassation explique par son arrêt du 17 mars dernier « qu'une enquête effectuée au sein d'une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral n'est pas soumise aux dispositions de l'article L. 1222-4 du code du travail et ne constitue pas une preuve déloyale comme issue d'un procédé clandestin de surveillance de l'activité du salarié ».
Une enquête qui pour autant ne lie pas le juge
En matière prud'homale la preuve est libre et la Cour d'appel de Paris ne pouvait écarter le rapport d'enquête sous prétexte qu'il n'avait pas été porté à la connaissance du salarié en le confondant avec un “dispositif” de surveillance illicite.
La Cour de cassation vient donc de juger que l'employeur n'est pas obligé d'entendre le salarié mis en cause dans le cadre de l'enquête visant à établir la réalité matérielle de faits de harcèlement, moral ou sexuel, dont il est accusé.
Mais attention, il ne faut pas simplement lire dans cette décision que l'employeur ne serait aucunement obligé de faire participer le salarié accusé à l'enquête contradictoire.
Il faut plutôt comprendre que cette participation n'est pas indispensable pour que l'employeur puisse établir, en cas de contestation, la réalité du harcèlement constaté dans le rapport d'enquête.
Puisqu'en matière de licenciement le doute doit profiter au salarié, il sera toujours plus sûr, pour un employeur devant décider d'une telle mesure suite à des faits de harcèlement, de recueillir également le témoignage du/de la mis.e en cause.
L'enquête ainsi complétée sera davantage de nature à permettre au juge d'écarter tout doute.
Mais cela n'est pas indispensable et le juge, souverain, peut estimer l'enquête probante sans que l'accusé.e n'ait été interrogé.e.
Il était important que la Cour de cassation le précise.