Dans un arrêt du 8 juin 2022 ayant vocation à être publié au bulletin d'information de la Cour de cassation, la chambre sociale est venue répondre à une question épineuse qui, depuis la loi “travail” d'août 2016, a conduit nombre d'employeurs à adopter la prudence, voire une forme de pusillanimité, dont on ne peut que les excuser tant ils ont été habitués aux rigueurs de la jurisprudence sociale.
Le contexte :
Depuis la loi “travail” d'août 2016, l'employeur doit recueillir l'avis des représentants du personnel sur les possibilités de reclassement du salarié déclaré inapte, qu'il s'agisse d'une inaptitude d'origine professionnelle ou non.
La formalité est importante puisque faute d'avoir consulté le CSE quant aux possibilité de reclassement, le licenciement pour inaptitude serait privé de cause réelle et sérieuse.
La loi “travail” a également introduit les cas de dispense de reclassement.
Ainsi, le médecin du travail peut, dès le prononcé de l'inaptitude, dispenser l'employeur d'avoir à chercher un poste de reclassement en indiquant expressément :
- Que tout maintien du salarié dans une emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.
- Ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
En pareil cas, l'employeur, qui ne peut pas reclasser, n'a d'autre choix que de procéder au licenciement du salarié.
La question :
Seulement le doute subsistait : Est-il nécessaire, lorsque le médecin du travail prononce une inaptitude en dispensant l'employeur de son obligation de reclassement, de consulter tout de même le CSE quant à d'éventuelles propositions de reclassement que le médecin du travail vient d'interdire ?
La controverse est plus intense qu'il n'y parait puisque si les Cours d'appel de Lyon (05/11/2021, n°19/01393) et de Fort-de-France (17/12/2021, n°19/00151) ont toutes deux répondu par la négative en jugeant qu'il n'y avait pas lieu de consulter le CSE au sujet d'un reclassement qui a été exclu par le médecin du travail ; la Cour d'appel de Bourges par exemple (19/11/2021, n°21/00153) jugeait que la consultation du CSE constituait pour le salarié inapte “une garantie substantielle” de ses droits dès lors que les textes ne prévoyaient pas expressément d'en dispenser l'employeur en cas d'impossibilité de reclassement dans un emploi.
Et bien que la Cour d'appel de Paris (02/12/2020, n°14/11428) ait jugé l'année précédant ces décisions que l'avis du CSE était “inutile dès lors que le reclassement est impossible“, la Cour de cassation avait rappelé quelques mois auparavant encore “que la méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte […], dont celle imposant à l'employeur de consulter les délégués du personnel, prive le licenciement de cause réelle et sérieuse” (Cass. soc., 30 septembre 2020, n°19-11.974).
Si la question de la dispense de reclassement ne s'était pas posée dans cet arrêt, la solution retenue par la Cour de cassation était suffisamment dissuasive pour que les employeurs, par précaution, prennent finalement l'habitude d'organiser une consultation d'apparat, uniquement afin de pouvoir justifier d'avoir réalisé cette formalité en cas de contentieux.
La solution :
La Cour de cassation vient donc de se prononcer (Cass. soc., 8 juin 2022, n°20-22.500) et la solution est désormais claire : “lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi, l'employeur, qui n'est pas tenu de rechercher un reclassement, n'a pas l'obligation de consulter les délégués du personnel.”
La solution semble être de bon sens et aura au moins le mérite de mettre fin à ces inutiles consultations de façade.
Reste à la Haute juridiction à nous dire désormais s'il faut toujours notifier par écrit au salarié inapte les motifs s'opposant à son reclassement avant d'engager la procédure de licenciement, alors même que le médecin du travail a déjà informé les parties que tout reclassement était exclu lors de la visite médicale où, a priori, le salarié était bien présent.